Saint-Etienne du Rouvray : d'abord la République...
Quelle que soit la qualité ou la nature de la victime, la cible, c'est la République ! Le message de Daesh est constant : tuer les "infidèles" pour qu'advienne le califat.
Tuer physiquement. Tuer atrocement. Et plus c'est atroce, plus le message se dispense avec son corollaire psychologique : la peur, l'épouvante. Cette peur est un élément de la lutte sans merci que mène les djihadistes pour faire dépérir le modèle sociétal alternatif au califat, la République.
Plus la cible est identifiable comme l'une des pratiques "impies", plus le message atteint l'objectif. Faire exploser le corps national en communautés qui, naturellement, seront amener à se vivre en tant que telles, séparées les unes des autres, à coté (en marge ?) de la communauté nationale, républicaine. Et lorsque ce piège fonctionne, ce n'est pas le moindre des bénéfices "collatéraux" pour Daesh...
Une stratégie de dissémination.
Visant cette explosion, elle se nourrit d'actes de barbarie commis dans la vie quotidienne et cible celle ou celui qui vit, tout simplement.
Elle fonctionne sur un modèle complexe à déjouer où le djihadiste agit non pas sur un ordre donné par un pouvoir centralisé mais à partir d'une injonction générale, l'appel au djihad, et dont chaque "croyant" (en fait celui qui déclare son allégeance à Daesh) décide, seul ou en petits commandos, du lieu, du moment et du moyen.
Elle est d'autant plus implacable qu'elle est extrêmement difficile à déjouer. Et les mesures de prévention, de renseignement, d'action et de répression mises en place et qui ne bénéficient que des moyens humains et techniques hérités des budgets et des réformes de la dernière décennie, peinent à répondre aux exigences de la situation.
Saint-Etienne du Rouvray.
Le choix d'assassiner un prêtre durant sa messe, devant les fidèles, est barbare. Il est légitime que "les catholiques", et particulièrement les stéphanais, se sentent directement touchés. Il serait moins légitime qu'ils soient les seuls...
La presse amplifie ce processus et parle en boucle de "communauté catholique" après les atrocités commises dans l'église Saint Etienne. Elle l'amplifie et on peut se demander l'utilité des précisions que certains titres n'ont pas hésité à donner sur les circonstances de sa mort si ce n'est à nourrir encore un peu plus cette horreur...
Cet assassinat est évidemment horrible. Il soulève le coeur du laïque que je suis devenu. D'autant plus que j'ai été élevé dans cette ville par des grands-parents très catholiques, très dévoués à cette paroisse. Cette église Saint-Etienne, cette porte de la sacristie par où les forces de police ont tenté de négocier, je les connais, je les revois et je pense à ce prêtre octogénaire. J'y pense d'autant plus qu'au delà du prêtre, Jacques Hamel est d'abord un français dévoué à la vie de ses concitoyens, coreligionnaires ou pas.
Risque de guerre de religion ?
Parler de communauté catholique justifie que l'on parle de communauté musulmane, de communauté juive, de communautés protestantes, etc. Cette multiplication des qualificatifs exacerbe les différences entre les français au delà du droit légitime à la pratique du culte de son choix, si l'on a la conviction qu'il faut en choisir un.
C'est alors ouvrie la voie pour que s'expriment des revendications spécifiques, venant souvent en dérogation au droit commun, les lois de la République. On l'a déjà vu à propos des menus scolaires, des dates d'organisation des examens, du port de vêtements ou de bijoux ostensibles, des heures d'ouvertures des piscines différenciées en fonction du sexe, des dérogations aux obligations scolaires pour raisons religieuses, etc. On vient de le réentendre, par exemple sur "C dans l'Air", l'émission de France 5, sur le thème de l'encore trop grande prégnance de la loi de 1905, 111 ans après !
Cette exacerbation s'inscrit dans la logique de Daesh. Son degré de progression est une échelle de l'évaluation de la réalisation de son projet.
Est-ce aux musulmans à "règler le problème" ?
Ce serait penser que la République accepterait de "soustraiter" à une quelconque communauté le soin de faire la police en son lieu et place. Les citoyens de confession musulmane ont toute leur place dans la communauté nationale à égalité de droits et de devoirs. A ce titre, ils se voient garanti la liberté d'exercer leur culte et l'obligation de respecter les lois de la République.
En revanche, les musulmans pratiquants ont probablement à faire leur aggiornamento, mais c'est une affaire interne qui ne concerne que la manière de vivre leur foi, en conscience. Encore faut-il lutter contre l'amalgame facile consistant à assimiler tous les musulmans dans une même réalité...
La synthèse de ces deux démarches consisterait probablement à nourrir une réflexion quant à leur manière de vivre la citoyenneté telle qu'elle est instituée par les lois de la République, sans aménagement spécifique, sans restriction non plus.
La religion peut-elle justifier la violence ?
Il ne faudrait pas que nous nous imaginions que cette question ne se pose qu'aux seuls musulmans. L'histoire nous montre que l'Islam n'est pas la seule religion à avoir connu dans ses rangs ses "fous de dieu", quant ce n'était pas une politique temporelle officielle...
Il faut souligner les initiatives alternatives, inverses, prises par les pouvoirs publics, dans certaines villes pour au contraire, réunir et favoriser le dialogue entre les religions, qu'elles viennent de personnalités politiques ou religieuses.
Clivage au sein de la communauté républicaine.
Dans la progression de l'évaluation de son projet, Daesh peut enregistrer des progrès significatifs avec la situation politique pré-électorale. Son projet se nourrit de l'aspect délétère qui se développe maintenant.
Daesh aura réussi à revivifier le débat mortifère entre Liberté et sécurité.
Faudrait-il renoncer à quelques libertés individuelles et/ou collectives pour gagner un peu plus de sécurité ? Cette question est à examiner au delà de la seule immédiateté à laquelle nous condamne l'actualité. Certes, l'idée qu'il faut bien faire des sacrifices pour tenter d'endiguer les atrocités des djihadistes peut séduire au moment de l'émotion, légitimement ressentie.
Mais peut-on accepter de modifier la Constitution sur la base de ce type d'émotion ?
Réduire le champ des libertés individuelles et/ou collectives enclenche un processus dont nous ne pouvons pas fixer la fin car il contient consubstantiellement le "toujours plus". C'est une vis-sans-fin, c'est un piège populiste dont l'histoire à aussi montré à quoi il peut conduire.
Peut-on être encore convaincu aujourd'hui par la fameuse phrase du chancelier Bismarck "Gewalt geht vor Recht" (la force prime le droit) ?
La force de la République Française est d'avoir construit au fil des siècles un Etat de droit. C'est ce que beaucoup de pays dans le monde nous envie. Certes, cette construction est toujours à parfaire mais surement pas au prix d'une diminution des droits des citoyens. C'est pourtant dans ce sens que ce développent certaines propositions.
Comment entendre cet appel à "être impitoyable et sans argutie juridique" ?
La volonté de ne pas céder devant l'atrocité de Saint-Etienne du Rouvray et être impitoyable avec ses auteurs s'est concrétisée, comme à Nice, comme au Bataclan, comme à l'Hypercasher, comme à la Porte de Vanves, comme à Charlie, les assassins ont été pour la plupart abattus, sinon repris et écroués pour être jugés.
Mais l'évocation "d'argutie juridique" cible semble-t-il les règles de notre Etat de droit au premier rang duquel la loi fondamentale, la Constitution et d'une manière générale, les principes généraux du droit, venant d'un ancien garant de cet équilibre de légalité, laisse perplexe. D'autres vont jusqu'à souhaiter le retour des juridictions d'exception, comme la Cour de Sureté de l'Etat ou d'autres encore voient dans la "la déviance des moeurs et la légalisation des déviances" (ici, ici,) la source de ce type d'acte...
Au delà de la polémique pré-électorale, totalement préjudiciable à la sérénité de la réflexion, il faut essayer de comprendre ce qui pousse tout un pan de l'opinion à acquiescer...
Réunir ce qui est épars...
Pour ceux des francs-maçons qui se veulent défenseurs de la République, des Droits de l'Homme dans la perspective d'améliorer l'Homme et la Société, le défi monte d'un cran !
Si l'exigence de la loi comme garant des libertés, des droits et des obligations citoyennes ne peut faire l'objet d'aucune dérogation, d'aucun accomodement, alors comment rester sans voix devant à la fois ces atrocités, les réactions de l'opinion et la tonalité des déclarations officielles tant des responsables politiques que religieux ?
Les obédiences ont réagi par communiqués, soit commun, soit individuel.
On sent bien que c'est sur le mode du plus petit dénominateur commun, preuve s'il en est que l'universalité de la franc-maçonnerie est (aujourd'hui encore) un leurre.
Pourquoi hésiter à dire les choses, spécialement lorsqu'elles sont graves ? Pourquoi résister ? Les choses qui nous séparent sont-elles à ce point plus importantes que celles qui nous rapprochent ? Nos projets sont-ils à ce point différents que nous démissionnions devant l'élaboration de propositions communes ?
Accordons-nous convenablement la proportion des proportions entre le travail symbolique et le travail sociétal ?
Répondre à ces questions pourraient occuper nos semaines à venir, quelles que soient nos activités estivales car il y a urgence.
Ce qui est épars ou plus exactement qui "s'éparsifie", c'est le sentiment de communauté nationale, de bloc de constitutionnalité qui en assure le "bien vivre ensemble", bref ce que l'on appelle "la cohésion nationale". De tous temps, les francs-maçons se sont réunis sous la règle du respect de la loi fondamentale de leur pays. Cette règle procède des Constitutions rédigées par James Anderson.
Cette loyauté "fondamentale" ne nous oblige-t-elle pas ?
A suivre...
Gérard Contremoulin
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