Mon maillet ne serait-il pas plus maçonnique que le tien ?
La pureté en maçonnerie est un peu comme l'horizon, celui qui croit s'en approcher constate qu'elle se dérobe à sa vue, le plongeant parfois dans une introspection sans boussole...
On se souvient de cette sentence, dans tous les sens du terme, de Michel Singer, ancien Grand Chancelier de la GLDF, aujourd'hui membre de la GL-AMF :
"le Grand Orient de France est l'association profane qui ressemble le plus à la franc-maçonnerie"...
Le connaissant, il y avait là probablement une belle part d'humour, mais je peux me tromper. Le problème avec l'humour, c'est qu'il y a toujours une incertitude quant au degré qu'il exprime...
Toujours est-il qu'elle a connu un large d'écho dans les années 2010, dans un monde maçonnique électrisé par la décision londonienne de suspendre la reconnaissance de représentativité de la GLNF... L'aubaine paraissait belle pour celles des obédiences qui pensaient, qui espéraient pouvoir récupérer ce sésame de "pureté"...
Du coté de la maçonnerie libérale, cette effervescence était regardée avec curiosité, tant les handicaps des concurrents (GLDF, GL-AMF principalement) étaient lourds... La suite l'a, ô combien, montré !
Néanmoins, cette propension à vouloir se considérer comme le plus maçonniquement "pur" est une tendance de fond toujours présente dans le panorama maçonnique, même s'il faut reconnaître qu'aujourd'hui (4 ans et demi après l'Appel de Bâle), cet état d'esprit a perdu sa vigueur pour se confiner dans quelques espaces auto-dédiés.
Or, la franc-maçonnerie n'est pas, nécessairement, un lieu de confinement.
Non.
Au contraire, la franc-maçonnerie peut constituer un espace où l'on travaille à assumer une philosophie de l'action. Elle s'exprime par exemple dans l'article 1° de la Constitution du Grand Orient de France, dans la pratique du Rite Français à la Grande Loge Féminine de France, à la GLMF, à la GLMU ou dans celle du Rite Ecossais Ancien et Accepté dans certaines loges de la Fédération Française du Droit Humain. Elle rassemble en France une large majorité de maçonnes et de maçons mais elle ne constitue qu'une très petite proportion de maçons dans le monde, il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître.
Pour autant, faut-il laisser se creuser le fossé entre ces deux types de pratiques maçonniques.
"Réunir ce qui est épars".
Sur l'impulsion de la Grande Loge Régulière suisse, "Alpina", 5 grandes loges régulières en Europe avaient lancé en juin 2012 "l'Appel de Bâle". Il s'agissait de mettre en oeuvre un processus de recomposition de la franc-maçonnerie française sur les ruines escomptées de la Grande Loge Nationale Française, où la GLDF aurait "récupérée" la reconnaissance londonienne... Rien de moins. Le prix à payer, car il y en avait bien évidemment un, était de "rompre sans ambiguïté avec les obédiences irrégulières", comprenez le GODF notamment.
C'est lors d'un "moment conventuel" d'une Tenue de Grande Loge que les frères délégués des loges de la GLDF avaient mis fin à cette énième tentative de "purification interne". Et le fleuve est revenu dans son lit, réaffirmant ainsi la force du lien entre frères et soeurs dans notre pays, celui de la fraternité.
Ce lien est-il universel ?
Il en a la vocation. Mais la franc-maçonnerie, dans son ensemble, ne se vit pas aujourd'hui sur ce mode.
La franc-maçonnerie "libérale adogmatique" ne pose comme obligation que l'Humanisme, c'est-à-dire le principe qui fait de l'Homme la mesure de toute chose.
La franc-maçonnerie "régulière" pose plusieurs interdits principiels : l'obligation de croire en dieu et en l'immortalité de l'âme ; celle d'aborder les sujets religieux ou politiques pendant les travaux ; celle de ne pas accepter la mixité.
Pour autant, francs-maçonneries régulière et libérale n'auraient-elles pas la même finalité ?
Deux réponses peuvent être apportées.
1/ Au delà des interdits "officiels", il existe des liens interpersonnels entre les membres des différentes obédiences qui reposent sur la qualité maçonnique.
Non pas par rapport à un impératif dont les complotistes raffolent : les francs-maçons se doivent solidarité et entraide. A cette fausse assertion, il faut faire observer que l'on est franc-maçon que dans le regard de ses frères et de ses soeurs. Selon la formule-clé de nos rituels :
- Es-tu franc-maçon ?
- Mes soeurs et les frères me reconnaissent comme tel.
La qualité maçonnique dépend de la capacité à la prouver par son comportement d'une part et, d'autre part, sur le fait que les autres francs-maçons l'accordent. Par exemple, on dit souvent que les francs-maçons savent se reconnaître à distance... Outre le fait de faire phosphorer les adeptes de sciences occultes ou les journalistes en mal de copie, il faut reconnaître que ce n'est pas totalement faux, à condition de savoir décrypter.
Dans une réunion de la vie civile, l'observation de la manière d'intervenir, la qualité des arguments, la capacité à surmonter la vivacité des réactions, et particulièrement le respect accordé aux autres, quels qu'ils soient, feront pressentir une qualité maçonnique... Car le travail maçonnique en loge a aussi comme effet d'améliorer la compétence à l'empathie, à la compréhension de l'autre, à la maîtrise du contradictoire sans que la contradiction soit ressentie comme une défiance, comme une mise en cause.
C'est probablement là un trait transversal à tous les travaux maçonniques, en loge régulière ou libérale. Vient ensuite la spécificité de chaque maçonne, de chaque maçon.
2/ Les obédiences, en tant que fédérations, regroupent des loges autour d'un projet commun, qui peut prendre des formes diverses (Constitution, Pacte Social, Règlement Général,...) Ces textes contiennent un ensemble de principes qui définissent l'identité autour de laquelle des loges acceptent de se fédérer. Elles sont garantes de ces principes et de ces règles. A ce titre, elles ont une fonction régulatrice, ce qui peut provoquer, comme dans toute organisation humaine, des ressentiments, des désaccords, des critiques. Il faut assurer un juste équilibre entre la souveraineté des loges et de leurs membres ("un maçon libre dans une loge libre") et le "fait obédientiel", c'est-à-dire la cohésion et la cohérence de l'ensemble fédéral. Ce n'est pas le plus simple des exercices mais il est vertueux !
Si ces règles réussissent bon an, mal an, à maintenir l'ensemble, elles peuvent parfois étonner, choquer et être désapprouvées. C'est le cas lorsque le maintient de la cohésion repose sur l'interdiction de contacts, de rencontre avec d'autres maçons. Chaque obédience est souveraine quant à l'adoption de ses règles internes, bien évidemment. C'est plus compliqué lorsque ces règles prétendent interdire les contacts entre obédiences, ou pire le droit de visite entre membres...
C'est le problème central que l'on peut avoir avec la franc-maçonnerie régulière qui interdit à ses membres le droit de venir visiter des loges d'obédiences réputées "irrégulières", ce que l'on nomme "intervisite" dans le jargon maçonnique.
Lorsque l'on évoque ce droit, l'argument développé par les frères qui, à la GLDF, se sont exprimés majoritairement contre le projet consécutif à l'Appel de Bâle (qui prétendait l'interdire aux "non réguliers"), l'ont fait aussi en argumentant que le droit de visite appartenait à chaque loge et particulièrement à son Vénérable.
Mon maillet est (probablement) plus maçonnique que le tien...
Et l'on en revient à ce symbole de l'autorité qu'est le maillet. Chacun des 3 premiers officiers d'une loge, ceux qui la dirigent, en sont munis. Ils rythment certains moments des travaux de coups de maillets ritualisés. Le Président de la Loge, le Vénérable Maître, tient le Premier maillet, le 1° Surveillant le deuxième et le 2° Surveillant, le troisième.
C'est un "outil" qui concentre sur lui un contenu symbolique puissant et riche et qui a donné lieu à de multiples factures.
Lors de l'installation des officiers, chaque année, on se transmet le maillet. Le maillet constitue à la fois le signe d'un "pouvoir", ouvrir et fermer les travaux, accorder la parole, la reprendre (éventuellement), passer au point suivant, etc. et le rendez-vous entre un moment de vie d'une loge et la décision à prendre.
C'est en ce sens qu'il est un symbole : objet dont chacun respectera l'utilisation et résultat d'une décision personnelle qui traduira le jugement, la capacité de mesure, de compréhension de celui qui le détient.
J'aime beaucoup celui-ci :
Il en existe de multiples formes et les rites, parfois, en ont retenus certaines :
Rite émulation
L'existence même de cette diversité dans la représentation de ce symbole du "pouvoir", tout autant symbolique, en maçonnerie tend à attester à la fois de cette grande multiplicité des pratiques mais en même temps du principe, transversal, qui en définit l'existence même :
"réunir des hommes et des femmes qui, sans elle, auraient continué de s'ignorer et pour être le Centre de l'Union"...
La pureté en maçonnerie, s'il tant est qu'il puisse en exister une, ne serait-elle pas dans la capacité d'un maillet, quel qu'il soit, à réunir, à rassembler sous l'autorité de celui ou de celle qui le détient, toutes celles et tout ceux qui, l'espace d'une Tenue, ont l'envie de travailler ensemble, d'où qu'ils viennent, quel que soit leur rite ?
Reconnaître cela serait un grand défi à la sottise qui existe, là comme ailleurs... Il faut probablement considérer que chaque fois que cela se produit dans une loge autour de la planète, c'est une petite étoile qui s'allume sous la Voûte étoilée...
Gérard Contremoulin
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