Laïcité : la Cour de Cassation montre un vide juridique
Mauvaise journée pour la Laïcité que ce 19 mars.
La chambre sociale de la Cour de Cassation, qui juge "en droit", rend deux arrêts en matière de licenciement dans deux affaires. Elles se ressemblent quant aux motifs et diffèrent quant aux missions accomplies par les deux employeurs. La Cour confirme le licenciement à la CPAM et refuse le licenciement à la crèche Baby-Loup !
Pourquoi ?
La CPAM est un organisme de droit privé qui assure des missions de service public. Cette situation entraîne, y compris dans le cadre du code du travail, des obligations de neutralité de la part de ses agents, notamment en matière vestimentaire. Obligations dont le non respect peut être considéré comme une faute grave pouvant entraîner un licenciement. Ici, le port du voile islamique a été considéré par la Cour comme contrevenant à ces obligations, acte qui justifie pour elle le licenciement de l'agent.
La crèche Baby-Loup est une association de la loi de 1901, c'est-à-dire un organisme de droit privé qui n'assure pas, au sens juridique du terme, une mission de service public. Le code du travail interdit toute discrimination. Dès lors, il n'est pas possible pour l'employeur de faire valoir auprès de ses agents une quelqconque interdiction de port d'éléments vestimentaires particuliers. C'est sur cette base que la Cour refuse le licenciement. Elle montre au passage le faible poids qu'elle accorde au règlement intérieur d'une association qui prévoyait pourtant une obligation de "neutralité philosophique, politique et confessionnelle", jugée trop imprécise par la Cour.
Ces deux affaires jugées à partir du même article du code du travail, à savoir l'article L. 1121-1, font apparaître un vide juridique flagrant. Le même motif, le port d'un voile islamique sur le lieu de travail, conduit à deux décisions diamètralement opposées.
Cet article dit :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
La Cour se fonde donc sur "la nature de la tâche à accomplir". L'une est une mission de service public et l'autre pas.
Si la consternation nous prend dans le cas de la crèche Baby-Loup, c'est d'une part en fonction du public accueilli. Les enfants en bas âge doivent faire l'objet de la plus grande vigilance et le principe de Laïcité doit y être garanti, et d'autre part en fonction de la médiatisation dont cette situation a fait l'objet.
Certains comme Jean Baubérot se félicitent de ce que cette décision :
"porte un coup d'arrêt à l'extension infinie de la neutralité, imposée à des personnes qui ne représentent finalement pas l'Etat."
Va-t-il y avoir de plus en plus des employés voilés dans les crèches privées ?
C'est une possibilité et ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle. Il faut arrêter avec la vision totalisante de la laïcité. La France revient actuellement sur le fondement de la loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat. D'un côté, elle s'oriente vers une conception moins stricte de la séparation, comme le montre le statut particulier accordé à l'Alsace. Mais de l'autre, elle tend vers une neutralité imposée beaucoup plus forte qu'en 1905, quand on se battait pour que la religion soit une liberté publique. On dévie de plus en plus de la conception de la laïcité de l'époque.
Jean Baubérot, qui est souvent présenté comme un "spécialiste de la Laïcité", montre ici les renoncements auxquels est disposée une certaine intelligentzia... fort peu laïque et prête aux "accomodements raisonnables" à la canadienne.
Outre la directrice de cette crèche, Mme Natalia Baleato, d'autres, comme Jeannette Bougrab, ancienne présidente de la Halde ou Manuel Valls, ministre de l'intérieur ont manifesté leurs inquiétudes face à un recul du respect du principe de Laïcité.
La décision de la Cour respecte néanmoins l'état du droit aujourd'hui. Le problème est donc renvoyé vers le législateur qui est interrogé sur les dispositions qu'il faut mettre en chantier qui puissent étendre l'application du principe de Laïcité à toutes les activités professionnelles, qu'elles soient accomplies dans le cadre du secteur public ou du secteur privé.
Gérard Contremoulin
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L'analyse de B. Mainguy dans "La Gazette des Communes".
L'analyse de Jean-Bernard Cuénot dans "La Tribune de Genève".
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