L'Europe, le cabri et la franc-maçonnerie...
"L'Europe, l'Europe, L'Europe ...» .
Charles de Gaulle moquait ainsi, le 14 décembre 1965, non pas l'Europe elle-même mais ceux qui en parlaient à tout propos comme d'une référence en soi, comme une panacée ! " Il faut prendre les choses comme elles sont. On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités ".
François Mitterrand pensait, durant ses deux présidences, qu'il fallait d'abord approfondir le contenu de l'Europe avant de penser à l'élargir, qu'il fallait une politique commune assise sur des bases solides avant de songer à accueillir de nouveaux membres. Jacques Delors, président de la Commission, tout en souhaitant l'élargissement, pensait de même.
Force est de constater que l'on a fait et surtout que l'on continue à faire tout le contraire.
Plutôt que de penser la construction de l'Europe avec un contenu d'abord politique, culturel, comme une communauté de valeurs, on privilègie une construction de l'Europe par l'accroissement du nombre des pays membres. On parait se satisfaire d'une collection de pays plutôt que de promouvoir une communauté de valeurs, une communauté d'objectif ! Pire, on base cette construction sur le crédo que vouloir plus d'Europe équivaudrait à vouloir toujours plus de pays en Europe !
Ainsi ne sert-il à pas a grand chose de brandir le drapeau étoilé en sautant comme le cabri du Général ! On peut même craindre que les partisans du toujours plus de pays soient les véritables fossoyeurs de l'Europe !
Et POURTANT ...
L'idée de l'Europe plonge ses racines dans les premières cartographies des marins phéniciens où le nom d'Europe est employé pour distinguer l'espace qu'elle constitue de ceux de l'Afrique et de l'Asie.
Le siècle des Lumières, le 18 ° siècle, su s'affranchir des frontières des Etats par les échanges culturels. Aux Lumières françaises correspondaient l'Illuminismo italien, l'Aufklärung allemand, l'Enlightment anglais ou l'Illustraciòn espagnol ...
Et Condorcet, dans son rapport sur l'Instruction publique devant la Convention en 1792, fixe l'objectif de « Rendre la Raison populaire ".
«Tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commandes seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres et celle des esclaves ».
Si ce mouvement se définit d'abord comme un combat contre l'obscurantisme et pour l'émancipation des esprits face aux coyances, aux tutelles notamment religieuses et aux superstitions, il est aussi celui de l'explosion du Débat à travers l'Europe. Rencontres intellectuelles, artistiques, controverses se multiplient dans les salons, loges maçonniques, cénacles, clubs politiques, académies, cours européennes ... Une période d'intense activité de l'esprit, un renouveau de la pensée, perdue depuis la Renaissance.
Une période faste pour la pensée, qui fait envie !
Car la question se pose de savoir si nous sommes toujours dans cette optique et cette nécessité-là aujourd'hui ! La société, traversée qu'elle est par des courants obscurantistes, négationistes ou populistes, ne l'est certainement pas. Et les dernières élections européennes nous en apportent l'illustration.
L'Europe de la Renaissance ne put exister qu'en construisant une représentation d'elle-même, représentation qu'elle dût extraire des croyances dans lesquelles le clergé tenait alors les chrétiens, leur expliquant qu'ils habitaient sur le " continent choisi par la providence divine pour être le foyer de la vraie foi "(selon l'historien anglais John Hale).
Aujourd'hui, l'Europe ne doit-elle pas s'extraire des représentations politico économiques dans laquelle elle a été enlisée par plusieurs décennies de politiques hasardeuses sans pilotage véritable autre que le marché ? Ne doit-elle pas renaître en affirmant à nouveau son identité émancipatrice ?
Il en est plus que temps car la construction européenne a accouché d'un monstre avec une calculette à la place du coeur et une broyeuse en guise de cerveau !
Et les francs-maçons ?
Rechercher la Vérité, même si dès les premiers mois de son apprentissage, le jeune franc-maçon découvre que ce n'est pas un absolu mais au contraire une succession de vérites, cette recherche n'oblige-t-elle pas à revisiter toutes nos certitudes ?
Et notamment les discours, les explications, les analyses, autant de schémas, de grilles auxquels nous nous sommes habitués et qui n'ont plus, aujourd'hui, de véritable efficience ?
N'est-il pas du rôle de la maçonnerie libérale de remettre en route sa machine conceptuelle, son "laboratoire d'idées", pour redéfinir un projet européen, l'actuel étant définitivement en panne ?
L'Europe, les francs-maçons et la paix.
Les maçonneries des pays du vieux continent ont expérimenté la réflexion sur la Paix dès les lendemains de la bataille de Sedan.
Ce qui est alors pour les français la défaite et pour les prussiens la victoire, comment les francs-maçons, eux, l'appellent-ils ?
La franc-maçonnerie dans les pays du vieux continent a moultes fois tentée de réunir ses forces pour faire prévaloir les solutions de paix sur les déclarations de guerre. Le "Congrès des francs-maçonneries des puissances alliées et neutres" réuni à Paris, du 28 au 30 juin 1917 et l'action de Léon Bourgeois pour la SDN. (Cf. Pierre-Yves Beaurepaire, sections 36 à 47).
Mais aussi dans les vingt dernières années. Un petit opuscule de Jean-Claude Rochigneux et Alain Bauer analyse et récapitule l'ensemble des initiatives prises par les différentes obédiences : "Les relations internationales de la franc-maçonnerie française".
L'Europe peut être notre bien commun.
A la condition de se poser les bonnes questions et de savoir choisir les bonnes réponses, l'Europe peut devenir un espace pour nos valeurs humanistes.
Peut-on concevoir sans sourciller un espace politique et social, un territoire organisé où la Liberté de conscience, l'égalité entre les hommes et les femmes, le droit pour les femmes à aller et venir librement et à disposer de leurs corps comme elles l'entendent, ne soient pas des principes reconnus et des réalités tangibles ? C'est pourtant ce que nous observons aujourd'hui.
Que faisons-nous devant les volontés d'adoption de lois rétrogrades du parlement espagnol, devant les politiques de Viktor Orban, devant les actes racistes et antisémites qui ont tendance à se propager dans les pays de la communauté et devant la montée des populismes et de l'extrême droite aux dernières élections européennes. Que faisons-nous devant les expulsions, les ratonnades visant telle ou telle population, les attentats antisémites, les actes racistes, xénophobes, devant les expulsions qui touchent parfois des familles entières ?
Comment les francs-maçons peuvent-ils réagir devant de telles situations ? Quelles réponses apporter à ces interrogations qui font peser tant de craintes sur l'avenir et qui menacent la paix ?
Des initiatives.
Des loges françaises de différentes obédiences libérales (c'est-à-dire celles qui s'autorisent à réfléchir ouvertement sur les sujets sociétaux) ont noués, certaines depuis des décennies, d'autres plus récemment, des relations avec d'autres loges dans les pays européens. Des échanges s'instituent et permettent de mieux connaître les différences entre les cultures des peuples, permettent de réfléchir ensemble.
Le Grand Orient de France vient d'inviter à la réunion d'un premier Forum des Obédiences libérales et adogmatiques de l'Union Européenne. Cette première session s'est déroulée le 28 mai dernier. Elle fera l'objet sur ce blog, prochainement, d'un compte rendu.
Gérard Contremoulin
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